Vous venez de vivre un événement traumatisant, vous êtes en état de choc. C'est normal!
Ce trauma se transformera-t-il en traumatisme et en stress post-traumatique? Ça dépend!
Et si c'est le cas, comment y survivre et en guérir?
Épreuve ou Traumatisme
Les épreuves de la vie peuvent nous paraître insurmontables, parfois. Nous pouvons nous sentir stressés, démotivés, déprimés. Ce mal-être est-il toujours l’expression d’un état de stress post-traumatique ?
Pourtant, on étiquette souvent le mal-être et la souffrance ressentis face aux aléas de la vie, de stress post-traumatique. Qu’en est-il au juste ? Toute souffrance, même profonde, est-elle toujours vécue comme un traumatisme ? Serait-ce parfois une grande épreuve ou un défi à surmonter, plutôt qu’un traumatisme ?
Et si c’en était un, c’est quoi vivre avec un traumatisme et comment peut-on s’en sortir ? Essayons d’y voir clair.
Boris Cyrulnik, neuropsychiatre spécialiste des traumas et de la résilience, affirme avec raison que ça prend deux coups pour faire un traumatisme: l'événement traumatisant lui-même — un trauma —, puis l'interprétation qu'on en fait, c'est-à-dire comment on le vit — un traumatisme.
Le premier coup : vivre un trauma.
Le trauma, un événement qu'on est incapable d'affronter
C’est vivre un événement si menaçant pour sa survie ou son bien-être, qu’on est incapable de le fuir ou d’y faire face.
Alors, figer est la réaction instinctive
Devant un danger, ce n’est pas le moment pour notre cerveau pensant de tergiverser sur la meilleure stratégie à adopter pour s’en sortir. Le système nerveux autonome prend donc le contrôle, on passe alors en mode automatique. Requérant une énorme quantité d’énergie, nos mécanismes de survie s’activent : c’est le fly, fight or freeze, les fameux trois F, fuir, faire face (combattre) ou figer. Si on a pu fuir ou combattre, on sort du mode automatique de survie et le cerveau pensant, le cortex, reprend le contrôle de la situation et la vie continue. L’événement encodé sous forme de sensations et d'émotions dans la mémoire à court terme sera interprété et raconté puis passera de la mémoire à court terme à la mémoire à long terme, l’autobiographique. L’événement fera partie de notre histoire et si on le revisite, ce sera comme un souvenir, même s'il peut être longtemps douloureux.
Ce n’est pas toujours possible de fuir ou de faire face à un danger menaçant.
Alors, figer devant un danger qu'on ne peut ni fuir ni combattre, est une réaction physiologique instinctive programmée chez tous les animaux, humains inclus. Cette réaction archaïque — figer, faire le mort — permet de survivre en trompant le prédateur qui se désintéressera d’une proie lui semblant morte.
Le danger passé, sortir du figement
Le danger passé, s'il a survécu, l'animal va trembler, se secouer puis déguerpir. Alors, l'immense énergie déployée par son corps en vue de la fuite ou du combat, mais non utilisée, sera libérée par ce tremblement, ce qui complète le cycle naturel de réactions face au danger et rétablit l'homéostasie. Pour l'animal, la vie continue avec, peut-être, une meilleure reconnaissance des dangers futurs.
Ce n’est pas aussi simple pour les humains, puisqu’une fois le danger passé, le cerveau pensant reprend le contrôle.
L'importance de libérer l'énergie accumulée pour fuir ou combattre , mais qu'on n'a pu utiliser.
Trembler, s’agiter, crier ou pleurer est salutaire, libérant l’énergie accumulée, tout en permettant aux sensations et émotions liées à l’événement traumatisant de s’exprimer.
Ce tremblement de l’être, quelle que soit la manière dont il se manifeste, est essentiel pour sortir du figement et possiblement éviter un traumatisme. Cependant, les humains interfèrent trop souvent avec ce processus, empêchant le cycle naturel de réactions au danger d'être complété. Si on tremble de façon incontrôlable après un accident, on nous offrira certainement quelque médication pour nous calmer. Si on pleure sans fin après un deuil difficile, il y aura toujours quelqu'un qui dira que cela a assez duré. Si on reste agité et incapable de fonctionner après une catastrophe, encore là quelqu'un nous: dira : "Prends sur toi, tu as de la chance, tu es en vie".
Interférer avec ce cycle naturel, c'est garder la personne dans un état de figement.
L'énergie accumulée restera bloquée dans le corps, figeant en même temps les sensations et les émotions associées au trauma dans la mémoire traumatique où elles se réactiveront chaque fois qu'un déclencheur lié à l'événement se manifestera. Un état de stress permanent perturbera et remplacera l'état de bien-être. L'homéostasie en prend un coup. Le trauma paraît insurmontable et ce qu'il fait vivre assène le deuxième coup : le traumatisme s’installe avec, en prime un état de mal-être qu'on appelle l'état de stress post-traumatique.
Traumatisme
Vivre un traumatisme c’est vivre une épreuve qui ne passe pas, c'est une impasse qui nous garde figé dans l’événement traumatisant, donc dans le passé.
Face à une même situation de danger, nos réactions ne sont pas toujours les mêmes. Certains la vivront comme une aventure ou une grande épreuve et y feront face et s’en sortiront avec peu de séquelles. D’autres seront complètement ravagés pour quelques mois, mais finiront par en sortir. Certains vivront un traumatisme destructeur. La façon dont on vit l'événement traumatique et l’interprétation qu’on en fait dépendent de l’état dans lequel on est au moment du trauma, du soutien qu’on obtient dans l’immédiat et dans l’après et aussi d'expériences passées.
Plusieurs facteurs contribuent au traumatisme. Sur le plan personnel par exemple : son état général, sa santé, son équilibre émotionnel; la fragilité ou la pleine possession de ses capacités; un traumatisme passé. Sur le plan psychosocial, entre autres : l’interprétation qu’on fait de l’événement autour de soi et dans les médias; la possibilité de ressentir et d’exprimer ce qu’on vit; le soutien des proches et de la communauté pendant et après l'événement.
État de stress post-traumatisme
Rester prisonnier du passé
C’est l’état de mal-être qui s’installe quand, au bout de quelques semaines ou quelques mois, on n’arrive toujours pas à surmonter le traumatisme. On est incapable de vivre sa vie pleinement, étant envahi par le choc traumatique. Tourné vers le passé, on vivote dans le présent, prisonnier de ce passé impossible à réparer.
Un état de mal-être envahissant
Le traumatisme prend toute la place, créant un état de mal-être extrême. On réagit comme s’il était toujours actuel, on mobilise son énergie à réprimer la pagaille intérieure, pendant que le corps continue à se défendre d’un danger qui n’a rien à voir avec le présent, mais plutôt avec le passé. Vivre avec ce stress post-traumatique devient une manière d'être.
Le trauma se manifeste dans le présent
Dans cet état, la personne est figée dans l’événement qui continue à se manifester de différentes façons comme, entre autres, par des flashbacks et des reviviscences, des difficultés d’endormissement et des cauchemars, de l’hypervigilance, des dépressions. En fait, par la plupart des manifestations répertoriées sous le concept de «syndrome de stress post-traumatique» dans la bible des psychiatres.
Affectant l'énergie vitale
Happé par les spectres du passé, l'énergie vitale déployée pour les combattre, il ne reste plus assez de vivacité pour vivre pleinement. Souvent, les personnes vivant avec un traumatisme ont l’impression d’être des morts-vivants. On déploie alors une stratégie pour moins souffrir.
Stratégies pour moins souffrir
Vivre en état de stress post-traumatique est extrêmement pénible, c’est donc normal d’adopter une stratégie pour moins souffrir.
Réprimer le traumatisme
Certains réprimeront le traumatisme en adoptant une stratégie d’évitement, le déni pour faire taire leur mal-être. Il faut comprendre qu'enfouir ce vécu pour un temps est souvent nécessaire, permettant de retomber sur ses pieds, assez pour faire face au mal-être et commencer à se reconstruire.
Se dissocier est une stratégie plus instinctive que volontaire. Dans les violences extrêmes, le cerveau disjoncte, déconnectant la personne de ses sensations et émotions liées au trauma, causant une amnésie traumatique où elle n'a qu'un souvenir vague de ce qui s'est passé.
Exprimer le traumatisme
D’autres exprimeront le traumatisme par la violence contre soi ou contre l’autre. Quand on n’a pas de mots pour exprimer le mal-être extrême qu’on ressent au fond de soi, on peut l’exprimer en se faisant souffrir — anorexie, mutilation, dépendance, ultimement en se suicidant —, ou en faisant souffrir l’autre, croyant que cette stratégie fera taire le mal-être. Même inconsciemment, elle est souvent privilégiée par des personnes dont le trauma remonte aux premières années de la vie, puisqu'elles n'ont aucun souvenir, donc aucun mot à mettre sur ce mal-être.
Le premier pas vers la guérison:
prendre la décision d’en sortir
et accepter de traverser un passage initiatique
D'abord assurer sa survie
Pour certains il faudra d’abord se mettre à l’abri de la situation de danger et assurer ses besoins de base. C’est ce que fait une femme agressée par son compagnon, en quittant son foyer pour un refuge pour femmes victimes de violence; ou encore une personne menacée dans son pays, en se réfugiant dans un pays d’accueil.
Retrouver la sécurité d'un clan
Ce n’est pas suffisant d’être à l’abri du danger, il faut retrouver ce sentiment profond d’être en sécurité, en étant capable de répondre à ses besoins de base et en nourrissant son sentiment d'appartenance et d'attachement. Il faudra se relier, autre besoin fondamental, et recréer des liens sécurisants avec une famille, un clan, une communauté. Tout cela, pour retrouver un minimum de goût de vivre.
Le déni permet de vivre ces deux étapes et l'état de stress post-traumatique pousse à aller de l'avant pour sortir du traumatisme
Le déni n'est pas négatif et, en mettant la souffrance à distance pour un temps, il permet de passer au travers de ces étapes et de retrouver assez de force pour reconstruire soi et sa vie. Une médication est parfois nécessaire aussi.
L'état de stress post-traumatique n'a pas que des effets négatifs aussi. Cet état de mal-être pousse la personne traumatisée à vouloir guérir et reprendre sa vie en main.
Le passage entre trauma et vie renouvelée
Le moment est donc venu de sortir des griffes du traumatisme et d’entreprendre un passage initiatique au bout duquel on se sentira de nouveau pleinement vivant.
Être pleinement vivant, c’est sentir que la vie circule en soi, oscillant au fil du temps entre un mouvement transcendant où on veut se libérer de tout ce qui entrave sa pleine expression; puis l’autre, un mouvement immanent, où on veut reprendre le cours de sa vie et sa place dans le monde, mais nécessairement d'une façon différente de celle du passé.
Mouvement transcendant
Dans la première étape de ce passage initiatique, on sort du figement, on se remet en mouvement et se lance sur le chemin de la reconstruction de soi. Dans le cas d’un traumatisme, se reconstruire c’est reprendre le pouvoir sur sa vie et se libérer de l’emprise du passé sur son présent. C’est transcender son trauma et vibrer de nouveau.
Se reconstruire
reprendre contact avec soi-même;
laisser le corps exprimer ce qui est bloqué dans l’état de figement;
laisser le ressenti et les émotions émerger et s’exprimer;
organiser le chaos, recoller les morceaux du soi brisé;
se redéfinir, non comme une victime, mais comme une personne en plein pouvoir et pour cela, il faut parfois se libérer de la dépendance et des diktats de son clan.
En plein pouvoir, vivre pleinement au présent :
aimer à nouveau, soi-même et les autres aussi;
se donner le droit d’exprimer qui on est.
Mouvement immanent
On ne se reconstruit pas seulement pour retrouver sa vivance. Le mouvement de la vie est immanent, alors la vie appelle à se renouveler, à créer du nouveau. C’est la dernière étape du passage qu’on qualifie d’initiatique puisqu’il invite chacun à se manifester en se renouvelant et à reprendre sa place dans le monde, en initiant un nouveau projet de vie qui fait sens.
Le passage initiatique est plus qu’un concept, c’est le chemin à marcher si on veut passer du trauma à la guérison, de la mort à la vie renouvelée.
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