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C'est quoi la vie après un trauma?

Dernière mise à jour : 2 juin 2023

On revisite les concepts de trauma, traumatisme, état de stress post-traumatique, stratégies de survie, passage initiatique et reconstruction de soi à travers une expérience vécue.


Épreuve ou traumatisme


Appelons-la "ELLE" et imaginons cette scène:


Un événement traumatisant: une épreuve


Elle voyage en solo au Mexique, dans une ville quelque part dans les montagnes de la Sierra del Sur. Elle dîne sur une terrasse du zocalo. Un homme la regarde avec insistance et son instinct l'avertit: prudence! Elle se hâte de payer et rentre à son hôtel. On la suit. Elle a peur... c'est normal.

Elle prend l'ascenseur, l'homme la suit; elle en sort, il en sort; elle monte l'escalier, il monte derrière elle. À l'accueil on ne lève pas le petit doigt pour l'aider. Son instinct lui intime de ne pas aller vers sa chambre, elle prend donc un autre corridor, c'est un cul-de-sac. Elle est piégée! Impossible de fuir devant ce qu'elle perçoit comme un danger. Elle tremble, elle pourrait figer de peur, mais son instinct de survie lui commande de faire face: son corps prend une position menaçante et elle hurle, tellement que le bonhomme, abasourdi, prend peur et déguerpit.

De retour dans sa chambre, elle tremble encore. Elle respire profondément pour se calmer. Elle se sent mieux et peu à peu, elle sourit même, fière d'avoir bien réagi. Les jours suivants, elle profite de son périple tout en étant un peu plus vigilante.

C'est une expérience traumatisante qui aurait pu mal tourner, direz-vous. Bien vrai. Malgré cela, quand elle repense ou raconte cette histoire, elle n'est pas envahie par les détails et les émotions passés. Elle n'a pas souffert de stress post-traumatique. Tant mieux! Une épreuve peut-être, mais pas un traumatisme.

Un événement traumatisant semblable, mais un traumatisme,

c'est-à-dire une épreuve qui ne passe pas.

Quelques années plus tard:

C'est la nuit, les jappements de son chien la réveillent en sursaut. Elle se lève, regarde par la fenêtre pour voir ce qui le met en rage et elle se retrouve nez à nez avec un homme qui essaie de pénétrer dans sa maison. Entre lui et elle il n'y a que le moustiquaire qu'il essaie d'arracher. Elle fige!

Elle aurait pu réagir comme elle l'avait fait au Mexique, crier, sortir, courir après lui, se battre, le chasser. Non, elle a figé. "Pourquoi?" demanderez-vous.

De plus, le petit manège du rôdeur se répète pendant des mois, sans qu'elle sache ni quand ni à quelle heure serait le prochain assaut, ni ce qu'il veut. Que veut-il en fait? La voler? La violer? La tuer? Comment combattre un danger qui n'est pas défini? Alors on cherche des réponses et l'imagination s'emballe.

Plus le temps passe, plus elle a peur. Peur de mourir! Au retour du travail elle fouille les garde-robes et les dessous de lit, en panique. Quand elle marche sur la rue, elle a l'impression d'être suivie, comme si elle le traînait avec elle dans son aura. Elle est en état d'hyper-vigilance constant, ne dort plus, n'est plus fonctionnelle.

Sens dessus dessous, elle capote!


Une expérience vécue

Le trauma nous suit comme une ombre

Oui, j'ai capoté... et consulté. Diagnostic: dépression situationnelle.

À cette époque, le stress post-traumatique n'était pas encore reconnu comme contrecoup d'un traumatisme. Ça n'existait pas, on ne pouvait donc pas en souffrir...

Boris Cyrulnik, un spécialiste des traumatismes et de la résilience, affirme que ça prend deux coups pour faire un traumatisme: l'événement traumatisant lui-même et l'interprétation qu'on en fait. Pourquoi dans votre vie vous réagissez si différemment à des situations de danger? Ça dépend de plusieurs facteurs comme par exemple votre état général à ce moment - fragile ou en pleine possession de vos moyens; le soutien que vous avez pendant et après l'événement; un traumatisme passé; et plein d'autres facteurs.


Une stratégies pour moins souffrir

En arrêt de travail forcé, je n'allais tout de même pas me laisser abattre: yoga, musicothérapie pour me ressourcer; thérapie brève où en 10 séances vous retombez sur vos deux pieds... et la vie continue comme si de rien n'était. Déni total.

Inconsciemment on met en place des stratégies pour faire taire la souffrance liée au traumatisme. Soit on réprime le traumatisme - évitement, déni, dissociation -, soit on exprime le traumatisme par la violence, espérant que nos cris et gestes soient plus forts que le trauma et fassent taire la souffrance qu'il nous inflige. Ce sera de la violence contre soi - anorexie, boulimie, mutilation, suicide même - ou de la violence de toutes formes contre l'autre.

Et la vie a repris avec ses hauts, ses bas, ses changements et son auto, boulot, dodo. Sauf que...

Larvé, patient, le traumatisme attend son heure, pendant des années s'il le faut.

Je sais aujourd'hui que ma stratégie de déni n'était pas efficace à 100%, loin de là. Le mal-être dû au traumatisme se manifestait parfois par des accès de colère soudains et sans rapport avec la réalité du moment et de plus en plus par un état d'hypervigilance constant. Les mâchoires et fesses serrées jour et nuit, je me sentais comme une gazelle prête à bondir.

Plusieurs années ont passé et j'ai continué mon petit bonhomme de chemin.


Osciller entre hyper vigilance et dépression

Un jour... Bang! Rien ne va plus. Encore.

​C'est l'embâcle. Incapable de fonctionner, que ce soit à la maison ou au travail, je m'enfonçais dans une dépression, hantée par l'idée de mort. Pourtant rien dans ma vie ne justifiait une telle débâcle. J'avais une famille saine, un conjoint aimant, des amies, un travail intéressant. Alors toucher le fond... le fond de quoi?

Le traumatisme peut rester tapi au fond de l'être pendant des années, sans trop se manifester à la conscience. Cependant, sournois, il installe le mal-être, perturbant l'homéostasie, cet équilibre naturel qui nous permet de rester sain de corps et d'esprit tout au long de la vie.

On peut voir notre énergie vitale comme une onde d'une certaine amplitude oscillant entre l'état d'éveil et l'état de sommeil. Le stress post-traumatique amplifie cette onde oscillatoire et nous fait passer d'états d'hypervigilance à des états de dépression.

J'ai refait surface. Fragile, j'ai cherché de l'aide: thérapie par l'art et l'écriture. Pas un instant, le thérapeute n'a soupçonné un traumatisme. Je n'écrivais jamais sur mon trauma, je n'y pensais même pas. Je me dessinais ou me modelais dans l'argile sans jambes, inconsciemment et systématiquement. Mes dessins sans thèmes étaient du barbouillage où ma main s'agitait, erratique, jusqu'à ce que le thérapeute m'arrête. C'était une réaction normale, car le traumatisme inscrit dans le corps cherche à s'exprimer. Hélas, durant cette thérapie on n'a pas su reconnaître les manifestations du traumatisme, ce n'était pas dans l'air du temps. Je n'avais donc pas encore touché le fond.

Devant un danger qu'on ne peut ni fuir ni combattre, on fige, réaction physiologique instinctive programmée chez tous les animaux, humains inclus. Le danger passé, s'il a survécu, l'animal va trembler, se secouer puis déguerpir. Alors l'immense énergie déployée par le corps en vue de la fuite ou du combat, mais non utilisée, est libérée par ce tremblement, ce qui complète le cycle naturel de réactions face au danger et rétablit l'homéostasie. Pour l'animal, la vie continue.

Les humains interfèrent trop souvent avec ce processus - le tremblement de l'être - , empêchant le cycle naturel de réactions au danger d'être complété.

Interférer avec ce cycle naturel, c'est garder la personne dans un état de figement. L'énergie accumulée restera bloquée dans le corps, pendant que l'état de stress post-traumatique perturbera et remplacera l'état de bien-être. L'homéostasie en prendra un coup.


C'est le corps qui porte le fardeau

Vint un temps où les effets du traumatisme se manifestèrent de plus en plus et prirent beaucoup de place. Si j'étais seule quand la nuit tombait, une peur panique m'assaillait et je figeais, à l'affût d'un potentiel agresseur, le danger pouvant être n'importe où.

Tout ce qu'on vit au moment d'un traumatisme est enregistré dans la mémoire traumatique, une mémoire essentiellement sensorielle qui contient tous les éléments - sons, couleurs, odeurs, textures, goûts - que les sens ont perçus, avec les émotions vécues lors de cet événement. Ce contenu n'est pas organisé de façon cohérente ni relié au continuum temporel - passé, présent, futur - mais toujours dans le présent. Pour une personne traumatisée ces éléments deviennent des déclencheurs qui lui font revivre son traumatisme non pas comme un souvenir du passé mais comme la réalité présente.

Être seule quand la nuit tombait était le déclencheur qui me faisait revivre l'épisode du rôdeur, comme s'il était là, tapi dans l'ombre. On a beau se dire "voyons donc!" ça ne change rien, j'étais terrifiée.

Se raisonner, en parler, chercher une logique, se convaincre qu'aujourd'hui on saurait faire face - tout ça est inutile , parce que c'est d'abord dans le corps que ça se passe et le ressenti et les émotions vécues sont figés dans la mémoire traumatique logée dans notre cerveau limbique ou cerveau émotif. Cela, puisque le cortex, notre cerveau pensant, logique, rationnel est débranché lors de l'événement traumatique. À cette étape du processus de guérison, les thérapies verbales, cognitivo-comportementales et cie sont souvent prématurées et ne fonctionneront pas nécessairement.

Qu'est-ce qui était figé dans mon corps, prisonnier de l'énergie bloquée et qui me causait de plus en plus des misères? Mes jambes me faisaient souffrir de plus en plus et je marchais difficilement - vous vous souvenez, je me représentais sans jambes lors des sessions d'art-thérapie.

Instinctivement devant le danger, on crie, prend ses jambes à son coup et on détale; quand on peut combattre on se tient bien droit sur ses jambes pour faire face à l'ennemi. Ces mouvements spontanés sont bloqués si on fige. Ici les thérapies énergétiques et corporelles seraient plus efficaces pour nous aider à libérer l'énergie prisonnière du figement.

À cette époque aussi, j'avais un immense besoin de crier, mais, incapable de laisser sortir ce cri parce que je croyais que je ne pourrais plus l'arrêter, j'étouffais à force de le réprimer.

Reviviscences, terreur, hypervigilance, problèmes de santé: ça commençait à faire beaucoup. Il fallait que j'en finisse avec ça. J'avais besoin de comprendre pourquoi j'étais piégée dans cette histoire depuis tellement d'années et surtout, pourquoi ce rôdeur avait eu un tel impact sur ma vie, contrairement aux autres expériences où je m'en étais toujours sortie sans séquelles. J'ai commencé à lire sur le sujet et de brides en brides, de découvertes en découvertes j'ai mieux compris ce que je vivais et surtout, j'avais une idée des chemins possibles de guérison. Mes recherches intensives ont duré 3 ans.

J'avais accumulé tout un savoir.

Que faire de tout ça?...

Partager... un roman... un site... un blogue...

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